Quelle Eglise pour quelle société ?
Soirée d’échanges et de réflexion théologique
17 mai 2017 à Lausanne, Espace culturel des Terreaux

A l’invitation du Mouvement Pertinence, en concertation avec les responsables du Labo Khi,  Recherche et développement de l’EERV, une cinquantaine de personnes se sont réunies pour débattre de questions largement en cours au sein de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud sur la mission de l’Eglise dans la société contemporaine et les « points de passage » entre Eglise et société. Les discussions du 17 mai s’inscrivent dans le cadre du débat au sein du Synode de l’EERV sur l’allocation des ressources – en fonction des missions. Le Synode avait d’ailleurs eu, lors de sa session du 4 mars 2017, un débat ouvert sur ce point, initié par le « Rapport non décisionnel du Conseil synodal au Synode concernant les dotations.»  La présente note de synthèse est donc également transmise aux membres du Synode, pour information.

Le site de Pertinence (www.pertinence.ch – sous Eglise) ainsi que  la Revue des Cèdres (no 46, avril 2017 – titre du dossier L’Eglise, pour y venir) apportent différents éclairages sur les mutations et propositions qui traversent les Eglises chrétiennes.

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Sous la présidence de séance de Marc-André Freudiger, pasteur et membre du mouvement Pertinence, l’assemblée présente entend tout d’abord deux contributions visant à établir un diagnostic sommaire de la réalité ecclésiologique et sociologique de l’EERV.

Simon Weber, responsable du Labo Khi,  Recherche et développement , fort d’une quarantaine de récentes retraites avec des  conseils de paroisse  (CP) sur l’ensemble du canton, met en exergue les constats principaux qui ressortent de cette observation en direct :

Jean-Marc Tétaz, théologien et philosophe, met en perspective la fonction des Eglises et leur possible pertinence au regard des mutations des sociétés occidentales. Ces mutations ont des conséquences directes sur rôle des Eglises et la place de la religion dans les sociétés. A signaler tout particulièrement les trois caractéristiques :

Il est important que les Eglises prennent en compte ce contexte sociologique pour développer leur communication et offrir des ressources de sens en adéquation avec les demandes, souvent implicites, des individus.

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Après ces exposés introductifs, un échange a lieu « entre voisins » dans la salle. Quelques éléments de ces conversations sont restitués pour l’ensemble des participants :

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Une deuxième partie de la soirée est consacrée à l’exploration de quelques pistes et propositions pour un avenir de l’Eglise.

Jean-François Habermacher, membre de Pertinence et chargé d’un mandat de recherche de l’EERV sur le pluralisme, relève cinq questions qui méritent attention :

Pour sa part, Jean-Christophe Emery, directeur de Cèdres Formation et membre du Labo Khi, se référant notamment à l’approche de l’Ecole de Palo Alto (Gregory Bateson) rend compte de la dynamique qui s’établit dans la recherche en ecclésiologie : il n’y a pas une approche linéaire ; la recherche est transversale. Inductive, l’approche est essentiellement attentive aux résultats produits par les décisions et les structures, tout en les remettant en question, dans une recherche permanente et … enrichissante. En Grande-Bretagne, par exemple, le mouvement des « fresh expressions » de l’Eglise (approches innovantes) ne représente pas, en soi, une autre forme de l’Eglise, ni un nouvel emballage sur du vieux, mais un mouvement qui sait réinterroger les modèles, explorer des pistes, sans toutefois décréter que la vérité est (exclusivement) dans le changement, ni que « le vieux » est par définition à rejeter.

L’orateur plaide donc pour un modèle pragmatique, d’apprentissage par essai-réponse, qui se nourrit des expériences locales comme étrangères pour déceler, stimuler et soutenir les initiatives créatives tant individuelles que collectives.

Pour ce qui est de l’EERV, elle bénéficie d’un certain « capital » qu’il ne faut pas négliger : crédit social et politique, bonne base financière (attention au confort !), loyauté et fidélité d’un grand nombre de paroissiennes et paroissiens. Ces forces, avec les faiblesses également reconnues, permettent d’oser construire une Eglise vivante, sous le signe de Pâques. Dans ce cheminement, le droit à l’erreur, la conscience du provisoire (un atout !) et la reconnaissance d’une progression (même si nous ne savons pas toujours vers quoi nous marchons …), la reconnaissance et l’encouragement de (nouveaux) talents sont à conserver, à développer vers d’autres, selon l’idée que l’Eglise existe pour ceux qui n’y sont pas.

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Les orateurs se réunissent ensuite dans un panel, que préside Pierre Gisel, professeur honoraire de théologie à l’UNIL. L’échange entre les participants et les membres de ce panel permet de distinguer certaines orientations et propositions :

Il n’y a pas deux parties qui se feraient face : l’Eglise et la société. L’Eglise est une partie de la société, avec une fonction spécifique. De part et d’autres, une certaine diversité domine. Dans nos sociétés, il n’y a pas que du «liquide» (la «société liquide» : une description, pas un programme !) ; il y a aussi d’autres mouvements ou sensibilités «solides»  (par exemple la sensibilité écologique, forte). Une  ambivalence sociale et politique domine, avec ses difficultés et ses promesses.

De même «l’Eglise», c’est quoi ? Là aussi il y a des cercles et des modèles divers, et il n’y a pas d’impératif de l’adaptation ; en certains endroits, la résistance (y compris à des modèles sociaux) est nécessaire. L’Eglise ne peut toutefois pas faire l’impasse sur une prise en compte des réalités sociologiques. Dans sa communication, elle doit être attentive à utiliser un langage, ou des références (par ex. les droits de l’homme) que le public repère aisément : tenant compte, notamment, des apports sociologiques, elle saura «parler» à nos contemporains dans un vocabulaire qui échappe au jargon de la «bulle» que nous connaissons en Eglise.

Au sein de l’Eglise, il est important de reconnaître et de travailler les résistances. Pourquoi certains ne veulent-ils pas changer ? Que faut-il changer ? Par fidélité à l’Evangile, dans une société en mutation, que doit-on changer ?

Des conceptions quelque peu différentes se sont manifestées quant à savoir ce que serait une «contribution théologique» ou « le message de l’Evangile à transmettre » aujourd’hui. Pour certains, il faut rechercher un message fort et pertinent pour notre temps. Pour d’autres, il n’y a  pas un message à formuler et à transmettre, mais une relation à explorer, une façon de faire fonctionner des liens, à l’illustration des « fresh expressions » : recherche de sens, oui, mais aussi se retrouver ensemble pour chercher ; on vient non pour nécessairement transmettre quelque chose, mais pour travailler autour de ce que chacun apporte et partage ; le travail, également théologique, est ici interrogation permanente et non un « modèle » qu’il faudrait réaliser.

Il convient aussi de distinguer la pertinence de l’Eglise de la pertinence de l’Evangile, sans créer bien sûr une opposition radicale. Il n’y a sans doute pas UN message traversant le christianisme au cours des siècles ; chaque contexte demande à retravailler les différentes propositions de sens, avec une nouvelle flamme et un nouveau vocabulaire. La foi mobilise et motive.

En vie d’Eglise, il fait sens de reprendre l’image des anneaux olympique ; cela peut ainsi vouloir dire que :

Un des problèmes majeurs de notre Eglise est de savoir faire coexister la tradition et l’invention. Dans les faits beaucoup de l’énergie des ministres est presqu’entièrement consacrée à ce qui ressort de la tradition. Peu de ministres en fonction sont présents dans les débats théologiques ; ils n’ont ni le temps ni l’énergie de se consacrer à explorer de nouvelles pistes. D’autres doivent intervenir.

A propos des ministres, une des observations faites par l’Eglise anglicane, par exemple, a laissé voir que le critère de «succès» d’un ministre n’est pas tant dans une compétence intellectuelle propre que dans la capacité de ce « berger » à générer l’enthousiasme du plus grand nombre, à créer de la confiance autour de lui. D’ailleurs, il semble y avoir corrélation entre le développement d’un groupe et le nombre de laïques engagés.

Il faut encore réfléchir à la façon dont on engage des laïques, leur fait confiance et leur permet de prendre des responsabilités. Pour le développement de nouveaux chemins, l’option n’est plus de (sur)charger ceux qui sont déjà là, mais de rechercher des gens et de leur demander quelles sont leurs compétences, ce qu’elles veulent faire : aller chercher les gens en fonction des compétences, et non en fonction du lien, de l’appartenance religieuse déjà présente ; alors en s’intéressant à ce qu’ils font, recueillir et valoriser leurs compétences et désirs.

Une des «révolutions» par laquelle nous devons passer réside dans notre attitude et notre langage. Avoir un sentiment positif de l’Eglise, porteur d’un message de vie. Sans évidemment ignorer les contraintes et difficultés, ne pas broyer du noir, ne présenter qu’une vision pessimiste, mais OSER aller de l’avant : oser être Eglise dans une société qui ne le demande pas forcement, vibrer ensemble, reconnaître que ce qui est un peu frontière comme positif, l’encourager. L’exemple de Labo Khi est ici porteur, en ce qu’il essaye de discerner des personnes et groupes porteurs de vie, comme lieux d’incubation ; ensuite les soutenir, les mettre en lien avec d’autres engagés.

Par rapport à ceux qui sont «au dehors», la mission n’est pas tant de leur transmettre un message, même bien formulé, que de s’approcher d’eux pour partager une expérience de vie, susciter peut-être, alors, des engagements imprévus. Notre objectif « quantitatif » n’est ainsi pas, par exemple, de doubler le nombre de personnes engagées dans une voie ecclésiale, mais de diversifier les activités et les propositions pour atteindre plus de personnes, en inventant de nouvelles formes (et formations) d’approche.

Cet objectif est également théologique et spirituel, là encore en partage : il nous faut (re)trouver une parole théologique forte, consistante à l’interne et l’externe, si nous avons la conviction que l’Eglise, porteuse de l’Evangile, est nécessaire.  De même, il nous faut (re)trouver une forme de spiritualité qui ne soit pas seulement une culture de l’intériorité mais une spiritualité communautaire.

La soirée s’est terminée, non pas avec des « conclusions » mais une invitation à poursuivre réflexion, partages, recherches en communauté(s) et dans la diversité.

Synthèse 17 mai – Version finale
Pertinence - JLB/30.05.2017