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HET-pro et formation diaconale

Quatre remarques à propos d’une éventuelle
reconnaissance de titre

1.      Constats

Le plan d’études général de la HET-pro (état février 2016) prévoit que cette Haute Ecole de théologie, d’inspiration évangélique, délivrera, dès 2018, un « Certificat en culture biblique et chrétienne ». Ce titre, qui correspondra à une « introduction à la culture chrétienne, à la Bible et à la vie des Eglises dans la société » pourrait constituer une équivalence, voire une alternative aux parcours de formation réformés déjà existants et modifier les exigences requises par les diverses Eglises réformées romandes concernant la formation théologique de leurs futurs diacres. Le statut du Diplôme du Séminaire de culture théologique (SCT), délivré par Cèdres Formation à Lausanne, est directement concerné. Pour mémoire, ce titre fait déjà l’objet d’une reconnaissance académique (UNIGE) et plusieurs Eglises réformées romandes (Fribourg et Valais) demandent que leurs catéchètes et intervenants laïcs viennent suivre tout ou partie de leur formation théologique au SCT. A noter encore que le Diplôme du SCT constitue l’un des prérequis théologiques pour pouvoir déposer un dossier de candidature auprès de l’Office protestant de la formation (OPF, Neuchâtel), organisme responsable de la formation professionnelle des futurs ministres réformés romands.

2.      Interrogations

Pour faire face à la pénurie ministérielle annoncée depuis quelques années déjà, les Eglises réformées romandes pourraient imaginer trouver, à court terme, une solution à la diminution des effectifs diaconaux, en reconnaissant le titre délivré par la HET-pro. Toutefois, ouvrir la porte du diaconat aux étudiants de la HET-pro ne serait pas sans conséquences sur le paysage réformé actuel. L’orientation, la culture, l’esprit des Eglises et communautés réformées s’en trouveraient profondément transformés. Par ailleurs, sur le principe même d’une reconnaissance de titre, une simple question se pose. Est-il souhaitable qu’une personne désirant travailler - et être rémunérée - en tant que diacre ou animateur/trice en Eglise au sein d’une Eglise réformée cantonale, n’ait pas eu l’occasion de se frotter aux présupposés d’une culture théologique et ecclésiale réformées ? Car, il faut le reconnaître, les formations théologiques, spirituelles et ecclésiales proposées par les milieux évangéliques et réformés sont différentes dans nombre de disciplines importantes. Mentionnons simplement l’exégèse, la théologie systématique, l’éthique, la mission et l’organisation de l’Eglise. Ces conceptions théologiques diffèrent, parce qu'elles renvoient à des rapports divergents à l’histoire, à la vérité, au monde, à la société, au statut et à l’usage de la raison, au témoignage chrétien, au dialogue avec les autres religions, etc. La reconnaissance d’une bénéfique pluralité de voix et de sensibilités au sein de l’Eglise et de toute communauté humaine, comme l’invitation à une communion dans les différences est bien sûr souhaitable et nécessaire. Mais elle ne doit pas masquer le fait qu’il existe des formes de tensions et d’oppositions entre ces différentes cultures religieuses et institutionnelles. Le conflit d’Antioche, tel que l’apôtre Paul l’évoque au chapitre 2 de l’épître aux Galates, reflète quelque chose de cela.

3.      Divergences

Peut-on formuler quelques-unes de ces divergences de fond entre les approches réformées et évangéliques de la foi et de la tradition chrétiennes ? Les Réformés peuvent-ils adhérer, sans broncher, aux « fondamentaux » ou « dénominateurs communs » évangéliques tels qu’ils sont déclinés dans plusieurs documents normatifs de la HET-pro et commentés, avec des variantes et des accents propres, par l’un ou l’autre responsable, sympathisant ou futur enseignant de cette Ecole de théologie ?

·       Si, entre Evangéliques et Réformés, nous sommes vraisemblablement tous d’accord pour reconnaître à la foi chrétienne une « dimension d’intériorité », s’agit-il pour autant de la concevoir prioritairement comme un « événement de conversion », repérable et datable dans le temps et la trajectoire biographique des personnes ou encore comme « rencontre personnelle avec Dieu » ?

·       Si les diverses confessions chrétiennes sont prêtes à chercher, dans les Ecritures, l’expression de la Parole de Dieu, les Réformés sont-ils d’accord de les considérer comme « Parole écrite de Dieu », comme « unique règle infaillible de foi et de vie » ou de prétendre, comme l’affirme La Déclaration de Lausanne (1974) : « qu’il n’y a point d’erreur dans tout ce que l’Ecriture affirme » (§ 2. Autorité et puissance de la Bible) ?

·       Si, au sein du christianisme, nous sommes tous disposés à reconnaître l’importance centrale que joue la mort de Jésus le Christ dans la foi chrétienne, les Réformés ne sont pourtant pas prêts à l’interpréter comme « sacrifice expiatoire et fondement unique de notre rédemption » ou à la considérer comme la mort du « seul médiateur entre Dieu et les hommes », du « seul Dieu-homme (…) qui s’est livré comme unique rançon pour les pécheurs ». Pourquoi donc, se demandent-ils, vouloir à tout prix privilégier cette interprétation alors que l’on trouve au sein des textes néotestamentaires bien d’autres manières de comprendre et d’éclairer le sens de la Croix ?

·       Quant à la compréhension du Christ et à la nature du témoignage chrétien dans le monde, les Réformés peuvent-ils sans autre accepter une interprétation exclusiviste des affirmations selon lesquelles : « il n’y a qu’un seul Sauveur et un seul Evangile » et « il n’y a pas d’autre nom par lequel nous devions être sauvés » ? Si « évangéliser » consiste bel et bien à témoigner de la parole libératrice de Jésus le Christ, peut-on ramener l’évangélisation à la seule « proclamation du Christ  mort pour nos péchés » et prétendre que sa mission principale consiste à « persuader les hommes de venir personnellement à lui pour être réconciliés avec Dieu » ?

4.      Conclusions

Ces quelques exemples suffisent à montrer que l’enjeu de ce débat n’est pas seulement d’accueillir des ministres et laïcs porteurs de sensibilités théologiques différentes, mais que les pasteurs, diacres et animateurs en Eglise souhaitant travailler au sein des Eglises réformées romandes aient eu, au cours de leur formation théologique, la possibilité de connaître et d’approfondir les référentiels et principes réformés et de se confronter aux divergences d’approches théologiques, d’expériences spirituelles, de conceptions de la foi, de témoignage et de pratiques ecclésiales. Dans cette perspective, il est de première importance que les futurs collaborateurs des Eglises réformées aient compris que la pluralité religieuse, à l’intérieur comme à l’extérieur des Eglises, est une réalité théologiquement légitime.

En ce qui concerne la formation des futurs diacres et animateurs en Eglise, il importe donc que les Eglises réformées de Suisse romande maintiennent l’exigence d’une formation théologique réformée et l’obtention des titres délivrés par les organismes de formation réformés actuels.

Jean-François Habermacher
Document au 12 avril 2016