Contribution de Marc-André Freudiger

 

Sens de la prédication

Le dimanche 6 novembre 2016, en même temps que les Eglises protestantes de Suisse romande lançaient les festivités du 500ème anniversaire de la Réforme à la télévision et sur les ondes radio, les Eglises évangéliques vivaient leur rassemblement annuel et réunissaient 2000 personnes autour de cet événement, baptisé « One ». Cette juxtaposition ne pouvait qu’inciter à la comparaison entre les modes de prédication de part et d’autre. Et le surlendemain, sur les ondes de la Radio Suisse Romande1, on pouvait entendre le commentaire suivant :

« Les Réformés transmettent des valeurs et une culture héritées du passé, alors que les évangéliques témoignent de leur foi dans le temps présent ».

Ce commentaire met le doigt sur une problématique importante pour la prédication : quel doit être son sens ? à quoi doit-elle viser ? Les lignes ci-dessous entendent prendre position sur ce sujet.

« Ainsi la foi [advient] de ce qu'on entend et ce qu'on entend par la parole du Christ. » (Epître aux Romains 10,17)

1. La foi chrétienne est liée à une histoire fondatrice, celle de la vie et de la mort de Jésus de Nazareth ; elle lit cette histoire comme la parole salutaire et libératrice pour l’homme et le monde que Dieu adresse aux humains.

2. C’est en écoutant cette parole et en se l’appropriant que la foi prend naissance et se renouvelle. Cette parole ouvre à l’homme une nouvelle compréhension de lui-même, du monde et des autres, compréhension sui generis, qui réoriente sa vie.

3. Si la foi est liée à l’écoute de la parole de Dieu en Jésus-Christ, elle est aussi solidaire d’un processus de transmission de parole ; ce processus implique une interprétation de la parole reçue en vue de son application dans un nouveau contexte historique ; et la transmission peut se faire sous des formes diverses. Le Nouveau Testament correspond aux premières interprétations qui nous soient accessibles de la parole de Dieu en Christ.

3.1. La Réforme en a fait sa conviction.

4. La prédication relève de ce processus. Dans la mesure où la parole de Dieu en Christ ne peut être entendue que moyennant un processus de transmission qui cherche à la comprendre à l’aide du Nouveau Testament (adossé à l’Ancien Testament) et qui la réinterprète, la prédication reçoit une fonction essentielle.

5. La prédication peut être comprise dans un sens large, englobant toutes les formes de communication à travers lesquelles on interpelle un auditoire en interprétant pour lui la parole de Dieu en Christ. Elle peut aussi prendre le sens précis et caractériser le moment du culte où un ou des orateurs s’adresse(nt) à l’assemblée pour actualiser cette parole divine à laquelle la lecture des Ecritures donne accès. C’est ce sens précis qui prévaudra dans la suite de ces lignes.

L’exercice de la prédication

6. L’exercice de la prédication doit être compris comme interpellation de l’auditoire en vue de lui donner à entendre ou réentendre une actualisation de la parole de Dieu en Jésus-Christ et de lui faire comprendre sa portée et son sens libérateurs dans les réalités de vie présentes.

6.1. Permettre à l’auditoire de comprendre la portée et le sens de la parole de Dieu en Christ suppose de profiler la compréhension de soi qu’elle ouvre par rapport à ce à quoi elle s’oppose et d'en souligner l’enjeu.

6.2. Dans le contexte de sécularisation actuel, il importe que la prédication permette de donner sens à la référence à Dieu et de mettre son rôle en évidence ; il lui revient de faire valoir la foi chrétienne d’une manière qui permette à ses auditeurs de justifier leur choix d’y adhérer face à d’autres options.

7. Dans l’exercice de la prédication, il ne s'agit pas simplement de « témoigner de sa foi » personnelle ou de raconter son vécu, comme évoqué dans le commentaire diffusé par la RTS. Le prédicateur est au service de la parole de Dieu en Jésus-Christ. Sa personne doit passer au second plan.

7.1. La prédication n’est pas une mise en avant de soi à travers un témoignage personnel. Certes, elle a passé par la subjectivité du prédicateur. Cependant, elle ne tient pas sa légitimité d’une expérience subjective, mais de sa fidélité à la parole dont témoignent les Ecritures. Le prédicateur doit pouvoir rendre compte de sa prédication sur la base des Ecritures.

8. Dans l’exercice de la prédication, il est nécessaire de s’intéresser à la compréhension de soi de ses auditeurs et de la prendre en considération.

8.1. La prédication se différencie d’une étude biblique. Elle ne peut se suffire de donner à comprendre une situation passée ni d’immerger ses auditeurs dans le monde biblique. Elle cherche à rendre vivante la parole de Dieu en Christ dans le contexte de vie de ses auditeurs. Si elle se nourrit de l’exégèse des textes bibliques, il lui revient d’user de liberté et de créativité dans la rédaction de son discours ou la conception de sa communication. A fortiori, elle ne peut se contenter d’enfiler et d’asséner des versets bibliques.

8.2. Si dans son discours, le prédicateur part d’une situation biblique et la développe, il doit veiller à faire en sorte qu’elle rejoigne, éclaire et oriente le vécu présent et les questions de vie qui habitent ses auditeurs.

8.3. Si dans son discours, le prédicateur part des réalités actuelles et des questions qu’elles posent à ses auditeurs, il doit veiller à les référer à la parole de Dieu en Christ, que reflètent les Ecritures.

9. Dans l’exercice de la prédication, il ne s’agit pas simplement de la « transmission d’un héritage du passé », de « valeurs culturelles », comme évoqué dans le commentaire diffusé par la RTS, ni non plus de vœux pieux, mais de la possibilité de réorienter sa vie à partir d’une interprétation pertinente de la parole de Dieu en Christ dans notre réalité présente.

9.1. La prédication se différencie du genre épidictique dans lequel l’orateur répond à des questions que nul ne se pose ou « présente un discours auquel personne ne s’oppose, sur des matières qui ne semblent pas douteuses et dont on ne voit aucune conséquence pratique2 ».

9.2. La prédication se distingue du discours autocélébrant qui vise à coaliser autour de l’affirmation d’une identité ou de valeurs données. Par suite, elle n’est pas non plus un discours sur l’état de l’Eglise.

9.3. La prédication se différencie d’un méta-discours soupirant à ce que devrait être le discours chrétien ou l’Eglise (« Nous devrions trouver un langage neuf… », « Il nous faut réapprendre à toucher les gens… », « Il faudrait que l’Eglise retrouve… », « Il s’agirait de revenir à la source… », etc.). Elle se doit de mettre elle-même en œuvre ce qu’elle souhaite.

10. C’est dans la mesure où elle conduit à nouveau frais cette actualisation de la parole de Dieu en Christ que la prédication se montre héritière de la Réforme.


[1] La Première, RTS Religion du 8 novembre 2016

[2] Chaïm Perelman, Traité de l’argumentation, p. 62ss, Bruxelles, 1970