Pour un christianisme libre, critique et démocratique

 

Le christianisme dans la laïcité et la sécularisation

Quelle contribution à une société pluraliste ?

Thèses soumises à discussion le 23.5.2016, revues après débat du 23 et diverses réactions

Rédigées en vu du débat public mené le 23 mai 2016 au Sycomore, à Lausanne, les thèses ci-après présentent une réflexion ouverte sur la laïcité, la sécularisation et l’appréhension que fait le christianisme de ces phénomènes ou dimensions sociales et politiques. Quelque peu revues suite audit débat, ces thèses demeurent provisoires et sujettes à d’autres échanges et formulations. Le mouvement Pertinence les présentent sous cette forme, sans chercher à en rédiger une supposément définitive.

Données et diagnostics :

1. La laïcité est un mode juridique de régulation de la pluralité religieuse par le politique.

Elle assure la neutralité de l’Etat devant la pluralité religieuse et sauvegarde, pour chacun, la liberté de conscience, y compris, dans ce cadre, la liberté de manifester sa religion ou de ne pas avoir de religion.

La laïcité n’a pas à être étendue à l’ensemble de la société civile (il y a, plutôt, à ce niveau, à faire fructifier les différences, pour le bien de chacun et de tous, et cela peut même être une charge de l’Etat laïc que d’y pourvoir).

Il y a diverses manières de mettre en œuvre la laïcité.

2. La sécularisation est un processus qui affecte la société.

Elle s’inscrit dans un processus de différenciation fonctionnelle de diverses sphères et instances sociales (le politique, le civil, le moral, le scientifique, le religieux, l’esthétique etc.), conduisant à leur spécialisation. La religion est, en Occident principalement, affectée par ce processus : d’englobante et se voulant déterminante pour l’ensemble de la société, elle devient une sphère distincte, parmi d’autres. Ce phénomène entraîne une perte de reconnaissance et de substance sociale de la religion, ainsi qu’un affaiblissement de son emprise sociale (cela touche tout particulièrement les institutions qui l’organisent, Eglises ou autres) ; il est aussi lié à un processus d’individualisation.

3. Laïcité et sécularisation doivent être distinguées.

Alors que la laïcité renvoie à une disposition où l’État impose une réglementation supposant une spécification des intérêts religieux et visant à limiter toute ambition de leurs acteurs d’interférer sur les autres sphères sociales, le terme de sécularisation désigne un processus historico-culturel d’ensemble. Dès lors, le niveau de sécularisation et le degré d’imposition de la laïcité peuvent, selon les pays, ne pas coïncider. On rencontre ainsi des sociétés sécularisées reconnaissant des organisations religieuses de droit public (Canton de Vaud, Danemark, etc.) ou, à l’inverse, des sociétés peu sécularisées connaissant une séparation de l’Eglise et de l’Etat (USA, Turquie, Mexique, etc.).

4. Si, du fait de la sécularisation, la religion est devenue institutionnellement fragilisées en Occident, elle reste néanmoins centrale pour certains ; par ailleurs, elle connaît de nouvelles manifestations et expressions, et elle fait à nouveau l’objet de constants débats publics.

La modernité avancée voit ainsi naître de nouvelles affirmations religieuses : nouveaux mouvements religieux (scientologie, raéliens, etc.), du religieux diffus (New Age, spiritualités laïques ou athées, etc.), des radicalités religieuses se cristallisant sur sol traditionnel ou y renvoyant (évangélisme, islamisme).

Ce phénomène semble signaler une dimension foncière de l’humain qui doit être honorée (on touche à ce que la Constitution vaudoise appelle en son art. 169 « la dimension spirituelle de la personne humaine », que l’Etat dit ici reconnaître) et, par-delà, la permanence de questions de sens (à mettre aujourd’hui en rapport à divers dysfonctionnements ayant leurs répercussions existentielles).

Propositions :

5. Pluriel dans son histoire et ses références (à commencer par la Bible) comme dans sa synchronie (différences de confessions, de cultures, y compris extra-européennes), le christianisme ne présente pas un modèle social à défendre, mais met en avant la mise en scène textuelle d’un geste (celui de l’Evangile ou, plus globalement, celui d’une intrigue qui sous-tend les diverses narrations bibliques), geste toujours articulé à un donné socioculturel présent et par ailleurs en dialogue avec lui.

On notera que ce n’est pas par hasard que Jésus ne soit pas présenté comme le héraut d’un programme, mais comme intervenant au gré de rencontres diverses et situées à chaque fois, ni que son « enseignement » adopte la forme privilégiée de paraboles (des mises en scène de l’humain faisant apparaître des usages du monde, pouvant indiquer aussi de l’excès qui échappe à toute mesure et à toute synthèse).

Ce geste est à (re-)penser. On le fera en le relisant comme geste qui, en lien à altérité, bouscule, casse l’auto-enfermement et ouvre un présent et un avenir.

Tâche ouverte : revisiter l’histoire où ce geste s’est différemment inscrit, face à des enjeux de fond et des choix au regard de toujours nouveaux défis.

6. Est tout autant à penser, parallèlement, le présent, ses possibles, ses pièges, promesses et ouvertures.

On le fera en tension critique à tout phénomène ou visée d’homogénéisation (modèles religieux renvoyant à justification extrinsèque ou laïcité extensive et neutralisante).

Tâche ouverte : reconnaître les différences de tradition et de postures comme heureuses et enrichissantes, et les faire fructifier en lien à des questions de tous, humaines et sociales.

7. Il y a à (re-)penser la forme et le statut des Églises et leur pertinence sociale.

A l’écart de toute nostalgie de chrétienté, mais aussi d’une simple sécularisation et privatisation sur fond neutralisé, les Eglises, par-delà une tâche cultuelle et spirituelle (en lien à symbolisation, tradition et mémoire), une tâche de diaconie également (non sans mise en rapport critique à un état social donné), s’équiperont en vue de propositions sociales, culturelles et théologiques permettant aux hommes et femmes de leur temps d’advenir à eux-mêmes et de se réaliser selon leurs fins propres. Elles le feront en lien avec ce que font voir ou révèlent les narrations bibliques et leurs réceptions en termes de proposition de réalisation de l’humain, une proposition singulière et éclairante, mais une parmi d’autres, chacune présentant ses spécificités, avec des forces (à faire valoir) et des faiblesses (à réfléchir lucidement).

Tâche ouverte : penser une identité, singulière et donc profilée, mais sans sectarisation.

8. Le christianisme renvoie à Jésus de Nazareth comme celui qui brise castes et discriminations de tous ordres.

Son exemple génère la confiance et permet de dépasser les peurs (de l’autre, de l’avenir, etc.). Dans ce mouvement, toujours à reprendre, et par le dialogue et la recherche du bien commun, le christianisme entend contribuer à l’édification d’une société civile – nationale et internationale – attentive au respect de tous dans le cadre d’un état de droit et dans laquelle chacun puisse se réaliser pour le meilleur.

Tâche ouverte : construire une politique qui, sur fond d’une exposition de chacun aux autres, mise sur l’échange, se déploie dans le cadre des droits de l’homme et nourrisse un débat sur les fins de l’humain.

9. Un travail de formation est nécessaire, comprenant mises en perspectives historiques, réflexivité, confrontation et dialogue interreligieux. On y sera aussi tout particulièrement attentif à la diversité des populations auxquelles on a affaire, y compris dans les Eglises.

Tâche ouverte : rechercher, dans la pluralité religieuse, y compris au sein du christianisme, les ponts et concertations permettant un vivre-ensemble dynamique et renouvelant.

Reprises :

10. Devant la société et le politique, le christianisme se présentera comme une religion qui a réfléchi sur son statut (quelle instance et quel « intérêt » humain il cristallise) et sur sa spécificité (la manière dont il assume sa fonction, sur fond ouvert et diversement occupé).

Le christianisme invite chaque tradition religieuse à entrer dans une réflexion analogue face au politique et au social, et invite chacune à clarifier sa position face à la pluralité des manières d’être humain dans le monde, manières religieuses et autres.

11. L’ensemble de la présente perspective suppose qu’ait été validée la sécularité du monde, dans sa consistance et son autonomie.

La tradition protestante l’a, majoritairement, spécialement fait.

A noter : cette consistance et autonomie du monde doivent être sanctionnées tant au plan social et politique qu’au plan de ce qu’on peut savoir des lois physiques, biologiques et génétiques présidant au déploiement du monde et de l’humain.

12. Cette approche suppose et invite à une distinction forte du politique et du religieux.

Distingués, le politique comme le religieux s’en trouvent limités, moins dans leur extension respective, avec une frontière à faire reculer ou à avancer, que quant à leur champ de pertinence, croisée et à faire fructifier.

Ce qui précède a tenté d’expliciter ce qui s’en suit pour le religieux (non un programme, mais une instance à repenser à laquelle donner corps, pour le constant renouvellement du social même). Pour le politique, on rappellera que la case liée aux raisons et justifications de dernière instance doit rester par principe ouverte et ne pas être occupée comme telle (pas plus que le religieux, le politique n’a à être totalisant ; et tout autant que le religieux, le politique doit toujours à nouveau repenser sa tâche et les formes qu’elle requiert)

J-LB et PG (17 juin 2016)