Contribution de Jean-Denis Kraege

 

Le système presbytéro-synodal

          Dans les Eglises réformées que je connais, les récriminations de la base contre la centralisation des Eglise cantonales ou nationales sont chaque jour plus nombreuses. Les appareils ecclésiastiques (synode et conseils synodaux ou nationaux) justifient cette centralisation au nom des changements de la société, des exigences des média, du monde politique... Dans le canton de Vaud, l'élément le plus symptomatique de cette centralisation réside probablement, aux yeux de la base, dans le fait que les Conseils et Assemblées paroissiaux (ou de « lieux d'Eglise ») ne peuvent plus qu'accepter ou refuser le nouveau ministre que leur propose l'Office des Ressources Humaines.

          Cette centralisation représente une dérive, car, traditionnellement, les Eglises réformées sont attachées au modèle « presbytéro-synodal ». Ce modèle tend à éviter deux écueils. L'un est précisément la centralisation que certains qualifient d'épiscopalienne. L'autre est le congrégationalisme. Les inconvénients du congrégationalisme résident dans les risques de fermeture sectaire sur la communauté locale, le manque de dialogue avec d'autres communautés du même type, la stagnation due à l'impossibilité de profiter de possibles synergies intercommunautaires... Quelques inconvénients de la centralisation : le cléricalisme, la démotivation de la base qui a l'impression de n'être là que pour récolter avec beaucoup de peine l'argent que dépensera le pouvoir central, l'imposition de modèles standards à des situations particulières pour lesquels ils ne sont pas adaptés, la croissance de l'administration...

          Que faut-il entendre par système presbytéro-synodal ? Son application a certes pu varié d'une Eglise réformée à l'autre. Idéalement, il met toutefois en oeuvre le principe médiéval de subsidiarité. Les communautés locales, via leur conseil d'anciens (presbytres) et leur assemblée législative, font elles-mêmes tout ce qui est en leur pouvoir pour accomplir leur tâche : proclamer la parole de Dieu. Ce qu'elles reconnaissent ensemble comme mieux réalisé s'il l'est à un niveau supérieur, elles le délèguent à ce niveau. Quant au niveau supérieur (synodal), tout aussi nécessaire que le niveau presbytéral, il veille à proposer son aide au niveau inférieur. En principe ce système d'organisation comporte deux étages. Pour des raisons diverses, certaines Eglises ont institué un niveau « régional » intermédiaire entre le presbytéral et le proprement synodal. Dans de telles Eglises à trois étages, on peut imaginer que les mêmes relations devraient exister – non sans complications – entre le niveau cantonal/national et le niveau régional qu'entre le niveau régional et le niveau presbytéral.

          Pourquoi y a-t-il lieu de défendre le principe de subsidiarité ? Ce système cherche à être au service du plus faible : l'individu de la base. Mais surtout, en Eglise, il reconnaît que la foi est une affaire d'abord individuelle. En christianisme, Dieu rencontre l'humanité non dans un peuple, une institution, un livre, mais en un individu. Et l'Eglise n'a pour raison d'être que le devenir chrétien du plus grand nombre possible de frères et soeurs en humanité. Le but d'une Eglise ne doit donc jamais être le triomphe de cette Eglise, ni même de l'Eglise universelle. Sa raison d'être ne saurait non plus consister dans le bon fonctionnement, voire la  pérennisation du système... De plus, face à l'atomisation de la société, face à la dissolution des liens sociaux, les individus sont en quête de  proximité, de chaudes communautés. Le relatif succès actuel des communautés congrégationalistes en est la preuve. Il importe cependant de contrebalancer cette tendance pernicieuse à la fermeture sur ces congrégations où l'on se sent à la maison par la reconnaissance de la dimension synodale de l'Eglise. L'Eglise ne peut convenablement accomplir sa tâche qu'en articulant le plus soigneusement possible particularités locales et communion ecclésiale.

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